SCOLARISATION DES ENFANTS DÉPLACÉS AU MALI : Quel avenir pour ces pauvres innocents ?


Les opérations de collecte et de mise à jour des données menées dans le cadre du programme DTM (Matrice de Suivi des Déplacements ou Displacement Tracking Matrix) montrent une augmentation du nombre de personnes déplacées au Mali entre novembre et décembre 2019. Le nombre de Personnes Déplacées Internes (PDIs) est en effet passé de 201 429 personnes en novembre à 207 751 en décembre, selon le rapport de la Commission Mouvement de Populations (CMP), soit une augmentation de 6 322 individus. La population déplacée est composée de 54% de femmes et 46% d’hommes. 4% ont 60 ans et plus et 53% sont des enfants de moins de 18 ans. 

 

Ces enfants, souvent accompagnés de leur famille, se sont installés dans la capitale. Différents centres d’accueil ont été mis à leur disposition. Nous avons rencontré Mme Adimata Maïga, une déplacée vivant au centre Mabilé de Bamako. Elle nous dit : « je suis venue à Bamako en 2015 avec mes deux enfants, une fille et un garçon. La fille fait la 4ème année et le garçon fait la 7ème année fondamentale. Depuis notre arrivée, les enfants ont été inscrits à l’école publique de Sogoniko, en Commune VI du District de Bamako. Ils continuent leur école sans problèmes… ».

 

Moumouni Diallo a lui aussi quitté le centre du pays à cause des violences meurtrières. Le berger a perdu une partie de son bétail à cause de l’insécurité. Mais il affirme qu’il minimise cette perte pour se tourner vers l’avenir et profiter du calme de Bamako, la capitale. « J’ai quitté le cercle de Bankass, situé dans le centre. J’ai 72 ans. On a eu peur à cause du conflit. Beaucoup de personnes ont été tuées. Je n’en connais pas le nombre. Je suis là avec mes six enfants. Aujourd’hui, on peut dire que ça va, car on peut dormir ici la nuit et que les enfants ont commencé à aller à l’école avec l’aide des autorités. À Bankass, on ne pouvait pas du tout dormir à cause de la peur », raconte le vieux.

 

Le jeune Abdoul Maïga fait la 7ème année à l’école publique de Sogoniko. Il nous dit : « je ne suis pas heureux d’être ici, car j’aurais voulu être à Gao, ma ville natale, pour continuer mes études. Mais, à cause de la guerre, j’ai dû quitter mes amis et les autres familles. Ici, je ne suis pas du tout mal traité et j’espère dans les jours à venir pouvoir rejoindre mon village… ».

 

Quant à Fatouma, elle est venue du village de Mamba et doit passer cette année le DEF (Diplôme d’études fondamentales). Elle est inscrite à l’école publique de Magnambougou. Elle reconnait que, depuis sa venue, elle n’a rien eu comme problème avec l’école. Elle dit avoir beaucoup d’amies. Mais, elle espère que la guerre prendra fin pour que le Mali redevienne ce qu’il était.

 

Modibo Coulibaly, un ex enseignant de Ménaka affirme : « aux yeux des terroristes, les écoles sont l’incarnation de la culture occidentale, le symbole des Occidentaux. Ils se battent contre elles. Ils disent que les enseignants sont des fonctionnaires qui viennent de l’extérieur de la région. Ils les soupçonnent de transmettre des informations à l’armée et d’être des espions. Sous cette pression intense, les enseignants quittent souvent l’école, l’un après l’autre, et la force vitale de l’éducation disparaît peu à peu ». 

 

Le Chef de division de la Promotion de l’enfant et de la famille, M. Harouna Samaké, explique : « l’État Malien a mis en place une politique nationale. Dans ce document, il est affirmé que chaque enfant a droit à l’épanouissement.  La Constitution du Mali prévoit neuf ans obligatoires à l’école et l’éducation est un droit fondamental, protégé par la Convention relative aux droits de l’enfant. Ceci étant, les enfants déplacés des zones de guerre bénéficient également de ces privilèges. À Bamako, ils sont inscrits dans les écoles publiques et leur scolarité est prise en charge par le gouvernement ».

 

Les droits de l’enfant sont une priorité politique affichée au Mali, où la moitié de la population a moins de 18 ans. Ainsi, la Constitution adoptée en 1992 proclame dans son préambule la détermination du peuple malien « à défendre les droits de l’enfant ». Le Mali a coprésidé le Sommet mondial sur les enfants en 1990 et a été l’un des premiers pays à ratifier la Convention relative aux droits de l’enfant. Aux dires de Monsieur Samaké, le Mali a également ratifié la plupart des conventions internationales se rapportant aux droits de l’enfant, notamment la Convention relative aux droits de l’enfant de 1990, ainsi que ses protocoles facultatifs (protocole facultatif concernant l’implication des enfants dans les conflits armés et protocole facultatif concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie impliquant des enfants en 2002) ; les conventions de l’Organisation internationale du travail concernant le travail des enfants, notamment sur l’âge minimum d’admission à l’emploi et les pires formes de travail des enfants ; la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant , en 1998.

 

Selon un rapport d’enquête du Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC), le système éducatif continue d’être affecté par l’insécurité dans le nord et le centre du Mali. En 2019, l’année scolaire a été perturbée pour 333 900 élèves, suite à la fermeture de 1 113 écoles (soit 12% des écoles des régions affectées par les conflits) consécutivement à l’insécurité. Les menaces contre les enseignants, les élèves, les parents et les leaders communautaires sont les raisons principales de ces fermetures. Grâce aux efforts conjugués de l’UNICEF et de ses partenaires, 218 écoles ont rouvert sur la période d’octobre à décembre 2019. Ces efforts allient un plaidoyer de haut niveau, ayant abouti à la déclaration sur la sécurité dans les écoles endossée par le gouvernement malien en février 2018, et des actions de dialogue et de mobilisation communautaires (le Dispositif participatif communautaire).

 

Les régions les plus touchées par la fermeture des écoles sont celles de Ménaka (41% d’écoles non fonctionnelles), Kidal (33%), Mopti (30%), Tombouctou (21%) et Gao (18%). Toutefois, la situation la plus critique est observée dans trois cercles de la région de Mopti, où les taux d’écoles non-fonctionnelles à la suite de l’insécurité sont les plus élevés, notamment à Youwarou (84%), Douentza (64%) et Tenenkou (61%). 

 

Depuis le début de la nouvelle année scolaire, en octobre 2019, le phénomène s’étend, affectant aussi les régions de Ségou et de Koulikoro, avec respectivement 60 écoles et 50 écoles devenues non-fonctionnelles. Les défis dans le secteur de l’éducation sont aggravés par la grève des enseignants du secteur public depuis plus d’un mois.

 

Le ministère de l’Éducation proclame que pour tout enfant déplacé des régions de Kidal, Gao et Tombouctou, l’inscription dans les écoles publiques sur leur lieu de déplacement est gratuite. Un rapport du Global éducation cluster et du Ministère de l’Education, de l’Alphabétisation et de la Promotion des Langues Nationales rapporte que sur les 3 060 élèves identifiés et enregistrés au niveau des Académies d’Enseignement, 2 197 ont pu être inscrits dans 139 écoles. Les autres ont été inscrits dans des écoles choisies par leurs familles d’accueil. Ces enfants passeront donc leurs examens dans l’école qui les a accueillis sans problème.

 

Les 2/3 des gens que nous avons interviewés n’ont pas participé au Dialogue national inclusif (DNI) qui s’est déroulé dans notre pays. Mais ils sont sûrs que si les revendications du DNI sont prises en compte, elles pourraient constituer une porte de sortie pour le Mali.

 

« Cet article est publié avec le soutien de JDH – « Journalistes pour les Droits Humains » et du Fonds des Nations pour la Démocratie (FNUD/UNDEF) ».

 

Aminata Sanogo