SCOLARISATION DES ENFANTS ATTEINTS D’ALBINISME AU MALI : Un système éducatif inadapté 


Les enfants atteints d’albinisme qui sont dans le système éducatif malien souffrent d’un double handicap : une faible vision et des maladies de la peau. En classe, ils ne voient pas dans les mêmes conditions que les autres élèves et sur le chemin de l’école ils supportent mal le soleil. Pire, au plan du vivre ensemble, ils souffrent de stigmatisations et d’exclusions de toutes sortes. Il leur faut donc des conditions spécifiques et adaptées pour faire face à tous ces problèmes, vu le manque de structures spécialisées.

 

L’albinisme est une maladie génétique caractérisée par une production insuffisante du pigment qui colore la peau, les yeux, les poils et les cheveux, la mélanine. Le terme albinisme vient du mot latin « albus », qui signifie blanc.

 

Il existe plusieurs formes d’albinisme, mais toutes entraînent d’importants troubles visuels et certaines une diminution de pigmentation de la peau et du système pileux. On distingue les albinismes complets oculo-cutanés et les albinismes oculaires purs.

Face à toutes ces difficultés, il y a donc pour les enfants des Besoins éducatifs particuliers (BEP). Pour l’école, il s’agit en premier lieu de faciliter l’accès aux apprentissages pour les élèves, en mettant en œuvre des pratiques bénéfiques à tous.

 

Pour les jeunes albinos, des aménagements spécifiques doivent être réalisés, concernant la vie scolaire et / ou les temps de classe, pour leur permettre d’apprendre au mieux de leurs capacités, dans un contexte favorable et grâce à des adaptations pédagogiques individuelles ou au sein de petits groupes, selon le spécialiste Mamadou Sissoko de la FEMAPH (Fédération malienne des associations de personnes handicapées).

 

  1. Sissoko estime qu’il y a des conséquences fâcheuses de l’albinisme sur la vie quotidienne et sur la vie scolaire. La déficience visuelle est constante, mais son retentissement est variable en fonction de la forme génétique de la maladie, des symptômes oculaires de l’enfant et de leur intensité, des traitements qui peuvent être proposés et de leur efficacité.

 

Bien souvent, l’élève atteint d’albinisme, bien que déficient visuel, peut facilement vivre une inclusion sans grande difficulté, une fois que les répercussions du nystagmus (mouvement involontaire du globe oculaire), de la photophobie (hypersensibilité à la lumière) et du mauvais état de la rétine sont connues de son enseignant.

 

L’emploi du temps de l’élève devra être aménagé pour dédier un temps suffisant aux apprentissages fondamentaux et aux soins et pour proposer également des activités d’expression (arts visuels, éducation musicale…), bénéfiques pour le développement du jeune.

 

Les élèves atteints d’albinisme ne peuvent pas lire de loin au tableau. Ils ne voient pas les affichages muraux, surtout si ceux-ci sont placés très haut. Il est donc recommandé d’éviter de privilégier les affichages à hauteur des yeux et de prendre en compte dans l’organisation des activités le fait qu’ils ne peuvent pas percevoir les textes ou les images exposés collectivement et qu’ils suivent mal les activités présentées trop loin d’eux.

 

De près, ils ont aussi des difficultés : visuellement les lettres sont souvent dédoublées d’où une lecture malaisée. Des lunettes corrigent les troubles de réfraction, mais ne permettent pas de pallier le défaut d’acuité visuelle lié à l’atteinte de la rétine. Malgré le port de verres correcteurs, il peut donc persister des difficultés à visualiser les détails fins, et, en particulier, pour la lecture et l’écriture (textes, documents iconographiques, cartes, schémas…), pour les manipulations de petits éléments en maternelle ou plus tard en technologie, par exemple. L’élève peut utiliser du matériel adapté, comme par exemple la loupe monoculaire ou le téléagrandisseur.

 

Du fait d’une vulnérabilité accrue en cas d’albinisme oculo-cutané, l’exposition au soleil aux heures les plus chaudes de la journée est à éviter ; le port de vêtements longs (pantalons, manches longues, casquettes à visière) et l’emploi systématiques d’écrans solaires (crèmes) à haute protection sont nécessaires dans ces situations.

 

L’albinisme dans le monde

 

Au Mali, il faudra attendre la fin du 5ème Recensement général de la population, en novembre prochain, pour disposer de données fiables concernant l’albinisme, selon les responsables de ces différentes associations des personnes albinos.  

Au-delà de la race, de l’ethnicité et du genre, l’albinisme est une maladie rare, non transmissible et héréditaire qui existe dans le monde entier. Les deux parents doivent être porteurs du gène pour le transmettre à leurs enfants, même s’ils ne présentent eux-mêmes aucun signe de la maladie.

 

La prévalence de l’albinisme dans le monde, selon les estimations de l’Organisation mondiale de la santé oscillent entre 1 cas sur 5 000 et 1 sur 15 000 en Afrique subsaharienne. En Europe, elle est de 1 naissance sur 20 000. En Afrique, cette prévalence peut aller jusqu’à 1 sur 4 000 et même 1 sur 1000 en Tanzanie, au Burundi et au Niger. Cette hausse spectaculaire du risque s’explique par la consanguinité, dans les villages les plus excentrés : des membres de la même famille, même éloignés, peuvent être porteurs de gènes très anciens et favoriser l’albinisme. 

 

Dans un brassage plus large, le risque que deux personnes portent les gènes de l’albinisme est considérablement réduit. Des recherches menées au Cameroun ont montré que sans lien de consanguinité le risque d’avoir un enfant albinos est de 1 sur 20 000. Si deux cousins ont un enfant, le risque passe à 1 sur 2 240, soit presque 10 fois plus. De plus, comme les albinos sont rejetés par la société, ils ont tendance à se regrouper et à s’unir entre eux. Les enfants qui naissent de ces unions ne peuvent qu’être albinos, eux-aussi.

 

Les associations d’albinos au Mali

 

Il existe au Mali une multitude d’associations au sein desquelles se regroupent les personnes atteintes d’albinisme, même s’il n’existe encore pas de données statistiques fiables et définitives sur leur nombre exact et sur leur scolarisation. Mais des études en cours à cet effet.

 

Parmi les associations qui œuvrent dans la sensibilisation sur l’albinisme, les actions de plaidoyer pour le respect des droits, la santé et l’insertion socioéconomique, citons l’Association Malienne pour la Protection des personnes atteintes d’Albinisme (AMPA), qui compte 337 membres; l’Association Dambe des Albinos de Koutiala (43 membres), l’Association des Albinos de Tombouctou ( 38 membres) et l’Association Malienne pour la promotion, la protection et l’insertion socioéconomique des personnes atteintes d’albinisme (70 membres).

 

S’y ajoutent l’Association Espoir pour les Albinos et autres enfants en difficultés (ASALED), qui intervient dans la prise en charge médicale partielle et la distribution de crèmes solaires et compte 115 membres, la Fondation Salif Kéïta, (950 membres), qui protège, soutient et oriente les personnes atteintes d’albinisme, Solidarité pour l’insertion des Albinos du Mali (SIAM), qui a 826 membres et produit et distribue gratuitement des pommades de protection solaire, offre des soins dermatologiques et ophtalmologiques et finance des AGR (Activités génératrices de revenue et SOS Albinos (595 membres), dont la devise est « Se réunir est un début, rester ensemble est un progrès, travailler ensemble est la réussite ».

 

Le constat est de nos jours clair : les personnes atteintes d’albinisme en situation scolaire sont laissées pour compte au Mali. Seules celles ont des parents ayant des moyens peuvent aller à l’école classique comme les autres enfants, faute d’établissements spécifiques.

 

Le manque d’infrastructures adéquates et suffisantes d’accueil de tous les enfants atteints d’albinisme est de plus en plus criard. Le financement par l’État de l’éducation de ces enfants fait aussi  gravement défaut et le droit à l’’éducation de ces jeunes handicapés est violé. Qu’est-ce le Dialogue national inclusif réservera comme sort à cette problématique ? La Charte des droits des personnes handicapées, au sein de laquelle se trouve la réponse à toutes leurs doléances, a connu un début de prise en compte suite aux discussions autour de cette question par la Commission culture éducation et sport du DNI, s’agissant de sa ratification imminente. Une campagne de lobbying et de plaidoyer menée par la FEMAPH et les medias pour qu’enfin les handicapés de toutes sortes jouissent pleinement de tous leurs droits serait donc la bienvenue.  

 

Les enfants atteints d’albinisme qui souffrent de cette situation difficile dans leur scolarisation décrivent avec beaucoup de peine les coups portés à leur droit le plus sacré d’aller à l’école comme tous les enfants. Mamadou Coulibaly, élève en 9ème année fondamentale, lève le voile sur ce qu’il vit tous les jours, en classe comme hors de l’école. « J’ai de la peine à voir tout ce qui s’écrit sur le tableau. En m’approchant trop pour lire ou pour écrire je dérange les autres élèves. Ainsi, je ne finis jamais d’écrire mes leçons en classe. Tous les jours je rentre à la maison avec le cahier d’un camarade pour continuer à écrire les leçons inachevées ».  

 

Quant à la  petite Salimata, une élève albinos de 7 ans, elle se plaint de la stigmatisation de la part de ces semblables en 1ère année, où personne ne veut s’asseoir avec elle sur le même banc, alors que les autres sont à trois par table. « Il y a aussi des jours où je ne viens pas à l’école car toute ma peau me fait mal », précise-t-elle ».

 

Rappelons que le Mali, à l’instar de la communauté internationale, célèbre le 13 juin la Journée mondiale de lutte contre la stigmatisation faite aux albinos. À cette occasion, l’Association malienne pour la protection des albinos (AMPA) mobilise.  Sa Présidente, Mme Maïga Aminata Traoré, pense qu’il est temps que les populations changent d’opinion sur l’albinisme, qui est certes une maladie génétique, voire un handicap, mais ne doit pas être « un obstacle pour entraver la réussite des personnes qui en sont victimes et leur rendre la vie difficile ». 

 

Quant à l’ONG et à la Fondation Salif Kéïta, albinos et artiste musicien  elles œuvrent pour la reconnaissance des droits des albinos, leur promotion, leur émancipation et leur insertion socio professionnelle. Un combat qui se traduit par la distribution de plus de 50 000 tubes de crème solaire, la prise en charge de frais de consultations ophtalmologiques et dermatologiques et la recherche de financement pour le Centre d’Éducation et de Formation des Enfants Albinos du Mali (CEFEA), un lieu d’information, d’écoute et de prise en charge totale de l’éducation et de la formation professionnelle pour les enfants, adolescents et adultes albinos.

 

C’est à la Fédération des associations des personnes handicapées (FEMAPH), la faitière, de porter la voix de ces enfants albinos en difficulté scolaire. Il s’agit d’interpeller en premier lieu, l’État, garant du respect de tous les droits, y compris le droit à l’éducation de tous les enfants.

 

Au plan moral, les professionnels des médias sont interpellés pour une large sensibilisation pour que tous les enfants, handicapés ou non, soient sur le même pied d’égalité devant leur droit à l’éducation. Dans les cas spécifiques des albinos, il faut éviter aux enfants la fatalité de la déscolarisation précoce et la non scolarisation dues à leur handicap de vision et de peau. Ils doivent jouir de leurs droits fondamentaux à l’éducation, à la santé et à l’emploi. 

 

Enfin, et hélas, les agressions physiques des albinos, avec mutilations de certaines parties du corps, n’épargnent pas les élèves albinos. Si rien n’est fait, par les décideurs comme par les organisations de la société civile, ces enfants, peuvent vivre des situations très pénibles, avec un retentissement psychologique conséquent, et exprimer par des résultats scolaires en dessous de la moyenne un mal être auquel on se doit d’être attentifs. 

 

L’éducation au vivre ensemble et au respect des différences, quelle qu’en soit l’origine, est d’autant plus essentielle que certains de ces jeunes cumulent les situations à risque de racisme et d’exclusion.

 

« Cet article est publié avec le soutien de JDH – Journalistes pour les Droits Humains et le Fonds des Nations pour la Démocratie (FNUD/UNDEF) ».

 

Abdoulaye Farman Coulibaly