Le mariage précoce est une pratique qui hypothèque la vie des jeunes filles. Il est encore fréquent dans notre pays, surtout dans les régions. Celle de Ségou, la 4ème, a attiré notre attention : plus de la moitié des filles y sont mariées entre 11 et 16 ans. Chose qui ne cadre pas avec les dispositions de la Convention relative aux droits des enfants (CDE). Le cas de FT, promise en mariage à 11 ans à Dioro, en est une parfaite illustration.
De teint clair, très élégante, avec de beaux yeux, FT aurait été la victime d’un mariage précoce et forcé à la fois, n’eût été sa fermeté. Elle a accepté de témoigner sous couvert d’anonymat, vu son statut de responsable de nos jours.
Promise en mariage à l’âge de 11 ans, par la force et précocement, à un cousin adopté par sa grand-mère, c’est son courage qui a « sauvé » sa vie. C’est grâce à sa vigilance que FT a échappé au « piège » de ses grands-parents. Blessée dans son enfance, FT est devenue aujourd’hui une défenseure des droits des filles à travers sa plume. Cette journaliste joue pleinement sa partition dans le combat contre le mariage précoce des filles, surtout celles qui vont à l’école. FT nous a raconté son périple après qu’elle ait décidé de prendre la tangente par crainte d’un mariage précoce. Elle était sûre qu’une fois celui-ci consommé sa vie allait devenir un enfer, au lieu de ce dont elle jouit aujourd’hui.
FT a passé son enfance à Dioro, dans un cercle de Ségou, auprès de ses grands-parents. À 11 ans, elle a été promise en mariage, alors qu’elle était en 6ème année, par sa grand-mère, qui était une femme influente dans sa famille. Lorsque la date du mariage a été fixée, elle en a été informée. Très maline, elle informera à son tour son professeur, en lui confiant qu’elle ne voulait pas se marier mais poursuivre ses études. Ce dernier l’a aidée à se cacher le jour J, après qu’elle ait fui la concession familiale en escaladant le mur de la toilette extérieure.
Tout le monde s’apprêtait à voir les mariés arriver bras dessous, bras dessus et les invités et les familles des mariés se sont sentis humiliés. FT, en pleine année scolaire, elle a passé 6 mois à Niono, à l’Office du Niger, travaillant comme aide-ménagère avant de gagner la capitale, Bamako. « Grâce à ma famille maternelle, j’ai pu poursuivre mes études. L’année suivante, j’ai été admise au CEP avec mention et j’ai fait le second cycle sans ajournement, tout comme l’université. J’ai décidé de faire du journalisme pour porter la voix des femmes et filles en matière de promotion de leurs droits ».
Selon le Président du Parlement des enfants du Mali, Nouhoum Chérif Haïdara, le mariage précoce est une violation des droits fondamentaux des filles. Pour lui, il n’y a absolument aucune circonstance dans laquelle cela devrait être acceptable. Mais, malgré tout, cette pratique continue son petit bonhomme de chemin dans notre pays. Pourtant, dit le jeune Haïdara, le mariage précoce a des conséquences néfastes sur la vie des filles. « Cela les prive de leurs droits, mais aussi de leur enfance. Une fille mariée avant ses 18 ans est plus susceptible d’abandonner ses études, de devenir mère trop jeune, de décéder des suites de complications au cours des grossesses ou des accouchements et de se retrouver piégée dans une vie marquée par la pauvreté. C’est pourquoi l’un de nos combats est de plaider à ce que l’âge du mariage revienne à 18 ans, comme dans l’ancien Code de la famille et de personnes ».
Une fille est souvent considérée comme un fardeau. Son mariage permet aux parents d’avoir une bouche de moins à nourrir, de s’enrichir et de créer des alliances stratégiques avec une autre famille. « Plan Mali est l’une des structures partenaires du Parlement des enfants. Nous menons des actions de sensibilisation auprès des parents et des autorités locales afin de les informer des dangers du mariage précoce et des droits des filles. Nos deux structures luttent aussi contre les barrières à l’éducation, afin de garder les filles à l’école », affirme Nouhoum Chérif Haidara.
Les familles sont aidées à augmenter leurs revenus grâce à la création de groupes d’épargne et d’activités génératrices de revenus, pour éviter que les parents ne marient leurs filles et qu’ils aient les moyens de les envoyer à l’école, à l’en croire.
De l’avis du maitre de 6ème année de FT, la décision d’interdire le mariage des enfants de moins de 16 ans serait une étape extrêmement importante dans la lutte pour les droits des filles. « Le mariage des enfants est une pratique profondément préjudiciable. C’est pourquoi j’ai porté secours à FT, qui était une écolière très brillante. Je suis très fier qu’elle soit devenue journaliste et qu’elle défende la cause des filles contre cette pratique affectant la vie de milliers d’entre elles au Mali ».
Selon Fanta Mah Sacko, une mère de famille ressortissante de la quatrième région, dans les sociétés pratiquant les mariages précoces et forcés, les filles et les femmes ont un statut inférieur à celui de l’homme. À ses dires, les filles sont mariées jeunes car elles sont considérées comme un poids pour la famille et que leur bien-être n’est pas une priorité.
« Les parents marient leurs filles bien avant qu’elles ne soient prêtes à avoir des relations sexuelles, afin d’éviter qu’elles ne tombent enceintes et ne puissent plus être mariées. Pourtant, ces filles voient leur droit à l’enfance et à l’éducation volé et leurs perspectives d’avenir et d’évolution limitées ». Les mariages forcés et précoces maintiennent les jeunes filles dans des conditions de pauvreté et d’impuissance de génération en génération, a-t-elle conclu.
Pour le Chef de la Division Promotion de l’enfant à la Direction nationale de la Promotion de l’enfance, Harouna Samaké, le mariage d’enfant est tout mariage dont l’un des conjoints a moins de 18 ans. C’est une pratique qui viole les droits de l’enfant, selon la CDE et la CADBEE. À l’en croire, au Mali 50% des filles sont mariées avant l’âge de 18 ans, selon l’EDSM-V réalisée en 2012 – 2013.
- Samaké ajoute qu’il ressort également du rapport de l’enquête MICS de 2015 que 49% des femmes âgées de 20 à 49 ans avaient été mariées avant 18 ans. Concernant les régions, Kayes était à un taux de 65,9%, Koulikoro 57,5%, Sikasso 47,4%, Ségou 48,1%, Mopti 40,8%, Tombouctou 48,7%, Gao 55,5% et le District de Bamako à 32,2%.
- Samaké rappelle aussi que selon le rapport 2016 de l’UNICEF, le Mali fait partie des quatre pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre les plus touchés par le phénomène. À ses dires, il s’agit du Niger (76%), de la République Centrafricaine (68%), du Tchad (68%) et du Mali (55%). Suivent la Guinée (52%) et le Sénégal (32%).
À la date d’aujourd’hui, déplore M. Samaké, il n’existe aucune loi contre cette pratique au Mali. Cependant, un projet de loi contre les Violences Basées sur le Genre prenant en compte le mariage des enfants existe, ajoute-t-il. Il souligne que sa structure et ses partenaires sont en train d’élaborer une Stratégie nationale multisectorielle, assortie d’un Plan d’action quinquennal, pour mettre fin au mariage des enfants, dans le cadre de la mise en œuvre de la campagne de l’UA en la matière. La validation de ces documents de stratégie (rapport d’étude, stratégie et plan d’action) est en cours de préparation, à travers un atelier national. Il explique aussi que les actions de sa structure sont focalisées sur la prévention, la formation, la sensibilisation, le plaidoyer et la gestion des cas, à travers les médiations familiales que les structures déconcentrées (DRPFEF, SLPFEF) mènent.
Selon toujours M. Samaké, la principale difficulté dans la lutte réside dans le Code des personnes et de la famille de 2011. Dans son article 281, il fixe l’âge du mariage à 16 ans pour la fille, voire 15 ans avec l’accord des parents, contre 18 ans pour le garçon. « Donc, comme vous pouvez le constater, le Code des personnes et de la famille autorise le mariage des enfants », signale-t-il.
Pour conclure, le spécialiste recommande le relèvement de l’âge du mariage à 18 ans pour la fille, l’harmonisation des textes nationaux avec les conventions ratifiées par le Mali (CDE, CADBEE), l’adoption du projet de loi relatif à la Protection de l’Enfant et l’adoption de la loi sur les VBG.
Cet article est publié avec le soutien de JDH – « Journalistes pour les Droits Humains » et du Fonds des Nations pour la Démocratie (FNUD/UNDEF).
Mariétou Konaté