juillet 6, 2020 Mali JHR

LES CONSEQUENCES DE L’INSECURITE SUR LES SERVICES SOCIAUX DE BASE AU CENTRE ET AU NORD DU MALI : Au fil d’un drame humain sans fin au centre du Ma

Au Mali, les conflits ont favorisé le dysfonctionnement ou l’arrêt total, dans plusieurs localités, des services sociaux de base tels que l’éducation et les soins de santé, l’accès à l’eau potable et l’hygiène. C’est le cas des populations qui vivent dans la région de Mopti où plusieurs personnes déplacées ont fui, particulièrement dans la zone de Konna. 

 

Ainsi selon les chiffres rendus publics par l’OCHA le 1er juillet 2019, près de 65 % des 926 écoles fermées dans le pays pour des raisons essentiellement liées à l’insécurité se trouvent dans la région de Mopti où plus de 179.000 enfants sont privés de leur droit fondamental à l’éducation.

 

Traumatisée par la violence, la population dans les zones de conflit, souvent minées, a peur de se déplacer pour accéder aux soins de santé de base. 

 

En outre, les besoins en abris figurent parmi les priorités dans le centre pour les personnes déplacées internes et les familles vivant dans les zones inondables pendant cette saison des pluies. 

 

Comme pour comprendre davantage le drame tel que vécu par les populations du Centre du Mali, nous avons rencontré le 1er adjoint au Maire de la commune de Konna, Yaya Traoré. Son témoignage est des plus édifiants : « l’accès à la santé est très difficile aujourd’hui dans la commune » nous a t-il confié avant de poursuivre ; « parce que nous n’avons qu’un seul Centre de Santé Communautaire (CSCOM) où les 28 villages de la commune se débrouillent pour venir se soigner.  Et à la date d’aujourd’hui, l’accès est très difficile pour venir à Konna ville à cause de l’arrêt de la circulation des motocyclistes. C’est très inquiétant si tu as un parent à Kontza ou Houmèrè ou dans un autre des villages de la commune ; c’est des problèmes. Seul le CSCOM de Konna est opérationnel dans la zone. Et même ceux qui veulent se déplacer pour Konna n’ont pas les moyens de déplacement ».

 

« Ils sont nombreux les déplacés venus des communes voisines, tels que la commune de Leol Gueo ou des communes des cercles de Bankass, de Koro et de Badiangara. Jusque là nous n’avons vu aucune action venant de qui que ce soit. Les gens passent très généralement pour recueillir des informations mais, sans suite et cela, depuis la libération de la ville de Konna. Il y a un vieux qui est là, il est Sonrhaï, il a perdu quatre de ses enfants lors des bombardements de l’opération Serval. Jusque là nous n’avons pas pu évaluer le coût des dégâts matériels. Ils sont nombreux qui ont connu des cas similaires. Jusqu’à présent ni l’armée Française ni l’Etat malien ne sont venus au secours de ces sinistrés. Nous interpellons les acteurs des droits de l’homme parce que les droits humains sont vraiment violés dans la commune de Konna. Avant, c’était derrière le fleuve en zone inondée. On ne peut rien faire là-bas. Maintenant ce n’est plus derrière le fleuve mais c’est partout, à Kontza,  à Timè…. Aujourd’hui, les gens ne peuvent plus aller chercher du bois en brousse. Même les femmes ne peuvent plus aller puiser de l’eau. On nous a privé de tout. Je me demande aujourd’hui est-ce que les droits de l’homme existent au Mali. Concernant les déplacés, depuis leur arrivée nous n’avons vu ni la Croix rouge encore moins les ONG humanitaires à leur chevet.  Or, ils ont de sérieux problèmes. Ceux qui sont venus les voir sont venus les mains vides. Certains sont au niveau de l’abattoir et d’autres au village de Sandigui. Nous avons informé les services du développement social, malgré tout rien n’a été fait pour eux jusqu’au moment où je vous parle ». 

 

Selon M. Moussa Kado (Moussa le Dogon), cet habitant de quartier Kampola à Konna « j’ai vraiment peur. Nos parents fuient la falaise pour nous rejoindre. Je suis dogon mais mon métier principal, c’est l’élevage et l’agriculture. Avec les nouvelles mesures de l’autorité régionale, nous ne partons plus dans les foires. C’est pourquoi nous sommes affaiblis économiquement. Nous ne savons plus comment subvenir à nos propres besoins encore moins à ceux de nos parents qui ont fuit les conflits. Ils sont venus avec leurs enfants et certains de ces enfants doivent aller à l’école. Je ne sais plus comment payer les frais de soins de ceux qui tombent malades et les frais de scolarité n’en parlons même ».

 

Un habitant de Tin-tam, Allaye Kassambara dit Allaye Késsé que nous avons pu joindre au téléphone a indiqué que: « nous avons peur d’aller dans nos champs à cause du problème de sécurité. Vous savez bien nous sommes en période de crise d’eau chez nous ; nous partons chercher de l’eau à quelques kilomètres d’ici. Et généralement, ce sont les femmes qui s’occupent de cet aspect. Or, la marre qui est tout près n’est pas utilisable. Si jamais nous buvons cette eau nous mourrons tous de maladies. Le Centre de Santé Communautaire le plus proche est à quelques kilomètres d’ici, à Borko. Vous voyez maintenant dans quelle merde nous sommes. Personne n’ose plus sortir seul même pour aller aux besoins ». 

 

« Ce qui est grave est que la plupart des enfants sont partis dans les grandes villes en abandonnant l’école. Et c’est fini comme ça pour eux ; ils n’accepteront plus de rester ici, ils sont presque perdus. Et pire, jusqu’à ce moment précis, nos semis n’ont pas poussé par défaut la pluie en retard ».

 

Pour Soumaïla Cissé, Secrétaire général de l’association des victimes de Konna et non moins membre de JPR (Justice-Prévention-Réconciliation) :« quand les déplacés ont commencé de venir vers Konna, la première des choses que nous avons fait est de les enregistrer d’abord. Parce que, certains sont venus avec toute la famille (femme, homme, enfant et vieillards). Dans l’intervalle d’une semaine nous avons pu enregistrer plus de 600 personnes. Au moment où je vous parle, nous avons atteint 800 déplacés. Ils continuent de venir chaque jour. Même avant-hier tout près, tout le village d’Amba est venu se réfugier à Konna. Ceux-ci pour le moment ne sont pas enregistrés pour des raisons de contre temps. Ensuite nous avons commencé à identifier leurs besoins ». 

« Même ceux qui veulent prendre la situation en mains, les adversaires leur mettent des bâtons dans les roues pour des raisons de coloration politique. L’environnement sociopolitique est très compliqué à Konna. Ce que je peux dire concernant la mairie, ils n’ont pas encore pris la situation des déplacées comme une urgence pour le moment. Il y a un Projet basé à Mopti qui a financé quatre (4) communes dont Konna dans la région, en vivres pour les diminues et les déplacés. D’aucuns croient que nous leurs avons fournit la liste des déplacées pour en tirer profit. Le Coordinateur régional de la Croix Rouge de Mopti nous a dit pour récupérer ces vivres il faut passer par la Mairie. Et c’est la mairie qui doit leur adresser une correspondance aux noms des déplacés. Ils ont des nattes, des couvertures, des vivres et des médicaments pour les déplacés. Nous, en tant que association, nous ne sommes pas habilités à faire de demande. Or la mairie continue à trainer jusqu’à présent. Nous vivons avec ce petit blocage pour le moment ».

« Le pire est que la majorité de ces déplacés n’ont pas de logements. En cette période d’hivernage, ils passent la nuit à la belle. Ils n’ont pas aussi à manger. La situation est très grave ».

C’est le cas pour Monsieur Allaye A. Diallo, un déplacé à Konna avec toute sa famille, au total 37 personnes, originaire d’Amba dans l’Arrondissement de Kendié cercle de Badiangara dira : « depuis mon arrivée à Konna, mon premier souci a été comment subvenir aux besoins et à la nourriture de ma famille. Nous avons tout abandonné à Amba. D’ailleurs, prendre quelque chose ne nous est même pas venu à l’esprit. C’était une question de vie ou de mort. Alors, je me suis dit, il faut d’abord sauver la famille. Mais depuis notre arrivée ici Konna, personne n’est venue à notre secours ni la mairie, ni les humanitaires, même pas les personnes de bonne volonté. Est-ce que vous comprenez ce que je veux dire, pour le moment je n’ai reçu cinq francs de quelqu’un. Il y a eu des gens qui sont venus nous enregistrer et c’est tout. Ensuite, nous sommes allés voir le maire de Konna pour expliquer nos conditions de vie, depuis lors, nous attendons mais sans suite ».

Heureusement, M. Diallo a pu trouver un logement pour sa famille, une maison de trois pièces pour 6.500 FCFA par mois. Il est heureux de pouvoir héberger sa famille mais il reste très préoccupé par l’avenir de ses enfants vivant dans ces conditions.

Dans tout ça, je me souci de l’avenir de mes enfants. J’ai des enfants qui sont à l’école mais l’insécurité à freiner leurs études. Ils fréquentaient l’école de Amba mais depuis que nous sommes venus à Konna ils n’ont pas connu le chemin de l’école. Parce que, j’arrive difficilement à nourrir la famille et si les frais scolaires s’ajoutent je n’arriverai pas à supporter les charges. D’ailleurs, nous n’avons même pas pu retirer leurs dossiers dans leurs établissements à Amba. A la date d’aujourd’hui, c’est les élèves coraniques qui continuent leurs études. 

L’accès à l’éducation est une préoccupation primordiale pour un autre déplacé sur le même site répondant du nom de Hadji Diallo originaire de Bankass nous confie que : « je suis chez mon cousin qui a accepté d’héberger toute ma famille. Nous sommes 12 personnes (vieux, femmes et enfants). Certains enfants sont à l’école. Malheureusement au moment où je vous parle tous mes enfants ont arrêté les études depuis que nous avons mis pied à Konna. D’ailleurs, dans notre condition actuelle je ne pense pas s’ils vont retourner encore en classe pour faute de moyens ». 

Cependant, M. Diallo explique qu’il est même difficile de satisfaire ses besoins essentiels dans le camp de déplacés.

« Dès mon arrivée, mon cousin m’a trouvé une maison chez lui pour loger ma famille. Je n’ai pas les moyens, même si les enfants tombent malade, je me débrouille pour les soigner. Même actuellement, j’ai un enfant environ d’un an, qui est un peu souffrant. L’enfant passe tout son temps à tousser. Je cherche comme ça une somme d’argent pour le soin. Nous n’avons rien à manger aussi. C’est compliqué ! Nous avons besoins de l’aide d’urgence. 

Pour s’enquérir de notre condition de vie, une fois des gens étaient venus nous enregistrer. Mais, depuis ce jour ils ne sont plus revenus et nous n’avons reçu l’aide de personne, ni de l’état, ni de la mairie, ni des associations encore moins des ONG ». 

Pour les personnes comme Monsieur Oumar Sow, retourner à la maison n’est pas une option. Il est originaire de Amba, arrondissement de Kendié cercle de Badiangara dit désespérer de son sort. « J’ai fait sortir rapidement toute la famille vers Konna pour éviter le pire. Nous étions plus libres de nos mouvements. On ne pouvait plus aller nulle part. Pire encore, les foires n’étaient plus accessibles surtout pour nous de peau blanche. J’ai fuit avec une famille de 13 personnes. A la date de ce jour, j’ai reparti ma famille en deux groupes, certains sont restés à Konna et d’autres sont à Bamako. 

Mes enfants n’étudient plus. Je ne sais plus quoi faire. Dieu sait que je n’ai pas quitté mon village par plaisir. Non ! Vous savez ce que ça veut dire fuir son village natal sans pour autant pouvoir prendre même une aiguille avec soi.  

Nous avons de nombreux problèmes ici. Nous n’avons rien à manger. L’avenir des enfants est compromis parce qu’ils ne vont plus à l’école. Pire, ils sont malades tout le temps. Voyez-vous ! Depuis mon arrivée à konna, je n’ai pas bénéficié l’aide de quelqu’un. Seulement un jour, les autorités communales de konna sont venues prendre les noms soi-disant que l’état nous viendra en aide. Je vous jure, de ce jour jusqu’à présent rien n’a été fait pour nous ». 

 

Une autre déplacée, nommée Ada, originaire de Melo dans la commune de Borko, a expliqué que vivre dans des conditions difficiles des camps de déplacés peut être encore pire pour les femmes. Elle nous dira, larmes aux yeux, beaucoup des femmes sont enceintes en état avancé, et certaines ont dû faire le trajet Koro-Konna dans des conditions extrêmement difficiles. 

 

Comme Aicha, veuve et mère de trois enfants, venue de Bankass, explique que s’occuper des enfants est extrêmement difficile dans ces circonstances. «Nous souhaitons pouvoir manger à notre faim,  regardez ces enfants, ils n’ont pas mangé ce matin, ils sont couchés parce qu’ils ont faim. On est malade, mais on ne peut pas aller à l’hôpital. Souvent des gens viennent nous voir et nous donnent des médicaments selon le mal qu’on leur dit sans consultation. Souvent c’est bon, souvent c’est mal» a-t-elle confié  

 

M.Sekou Bolly, responsable de milice peulh au centre du Mali dira : « Maintenant, il est temps que nous prenions conscience pour le bien de toutes les communautés. Surtout, pensons l’avenir de nos enfants. Mon souhait à la date d’aujourd’hui est de voir les enfants dans les classes ». 

 

Lors de sa dernière sortie médiatique, la Coordonnatrice Humanitaire pour le Mali, Mme Mbaranga Gasarabwé, a reconnu que « De nombreux villages se sont presque vidés de leur population et la vie de milliers de civils est en danger dans les zones de conflits. Pour éviter que le pire ne se produise, je lance un appel pressant à tous les acteurs pour mettre fin à l’escalade de la violence afin d’assurer la protection des civils et le rétablissement de la cohésion sociale dans le centre.» «L’heure est au renforcement immédiat des opérations urgentes humanitaires combinées aux actions de relèvement et de stabilisation, dans un environnement sécurisé avec un tissu social cohésif. Pour ce faire, nous travaillons en étroite collaboration avec les autorités nationales et régionales dans les localités où des besoins sont identifiés, » a déclaré Mme Gasarabwé. 

 

Selon Mme Joanne Adamson, représentante adjointe spéciale du Secrétaire général de la MINUSMA « le premier juillet dernier à Bamako le projet intitulé « Promotion de la paix par l’intégration socio-économique des jeunes à Bamako et Mopti » a été lancé. Ce projet vise à soutenir des actions de promotion de la paix à travers la formation professionnelle de jeunes hommes âgés de 18 à 26 ans, en mettant l’accent sur les talibés ou étudiants des écoles coraniques de certains quartiers de Bamako et de la ville de Mopti». Elle a ajouté que «le Fonds d’affectation spéciale de la MINUSMA a permis de financer le projet de « Prévention des conflits communautaires par l’amélioration de l’accès à l’eau dans la ville de Douentza ». D’un montant de 115 millions 844 000 francs CFA, ce projet devra contribuer à réduire les tensions intercommunautaires et à prévenir les conflits grâce à la construction et à l’équipement d’un réseau de forage et d’approvisionnement en eau à Douentza. Pour assurer la pérennité et l’entretien des installations, le projet comporte également 11 sessions de formation pour le compte du Comité de gestion de l’eau. Le projet aurait déjà permis d’améliorer considérablement le réseau de distribution d’eau potable, ce qui profite en grande partie à la population locale de Douentza. L’inauguration a été faite le 18 juin dernier ».

 

Par ailleurs, lors de sa récente visite du 3 au 7 juillet 2019 à Mopti, le PM, Dr. Boubou Cissé a lancé un programme de distribution gratuite de vivres aux populations démunies (déplacés et sinistrés et assiégées) dans les 64 communes ». 

 

Selon les déplacés maliens à qui nous avons parlés, le pays est à un tournant de son histoire et les autorités doivent rester pleinement engagées pour saisir cette opportunité. La Constitution de 1992 définit de manière claire et succincte le rôle et les prérogatives de l’exécutif dans la gestion du secteur sécuritaire et des forces armées. Si globalement, l’Etat est le garant de la sécurité de tous les citoyens et de leurs biens, il n‘en demeure pas moins que les rôles sont répartis. L’article premier de la constitution stipule « la personne humaine est sacrée et inviolable. Tout individu a droit à la vie, à la liberté, à la sécurité et à l’intégrité de sa personne ».

 

En même temps, les personnes vivant dans les camps de personnes déplacées au Mali font également appel à la communauté internationale qui doit redoubler son soutien pour aider les populations à accéder à la paix, à la justice et au développement durable qu’elles attendent. 

 

A travers les différents textes que nous venons d’énumérer, les personnes déplacées interpellent le gouvernement malien à poursuivre et sanctionner tous les auteurs des crimes dans notre pays. La déclaration universelle des droits de l’homme dit à son alinéa 1er de l’article 2 « chacun peut se prévaloir de tous les droits et toutes les libertés proclamées dans la présente déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation ».

Cet article est publié avec le soutien de JDH – « Journalistes pour les Droits Humains » et du Fonds des Nations pour la Démocratie (FNUD/UNDEF).

 

Seyni T. Kassambara