Au Mali certaines croyances communes font que les femmes ne sont perçues comme égales aux hommes. Cette pratique est une réalité dans les régions de Sikasso et Ségou en le district de Bamako. Malgré le peu d’importance qu’on accorde à ce que font les femmes, elles demeurent les catalyseurs du développement du pays et des familles en particulier, selon les constats. Car, dans certains cas ce sont elles la clé de leurs foyers sur le plan financier. Pourtant, le code du mariage et de la tutelle stipule que l’homme est le chef de la famille et c’est lui qui a en charge les dépenses de la famille. L’article 34 affirme que » le mari est le chef de famille. En conséquence: les charges du ménage pèsent à titre principal sur lui ; le choix de la résidence de la famille lui appartient ; la femme est obligée d’habiter avec lui et il est tenu de la recevoir ». Mais ce que dit le code n’est pas entièrement appliqué au Mali.
Mawa Konaté, ménagère à Missidougou dans la région de Sikasso, vit cette situation: « Je suis une victime de cette pratique à seulement un, deux voire trois ans de mariage. Certains hommes se défont carrément des charges familiales. Par exemple, ils n’habillent plus leurs femmes, les enfants ou refusent de donner le prix du condiment ou faire autres dépenses. Les femmes en voulant sauver leurs foyers se chargent de tout pour le bien-être de leurs enfants et de la famille. C’est pourquoi il n’est pas rare de voir les femmes exerçant des activités génératrices de revenus. Sur pieds depuis 04 heures du matin jusqu’à minuit, souvent à la recherche de quoi à subvenir aux besoins de leurs familles. Soit, elles sont au niveau des différents marchés de la place, des gares routières, ferroviaires, fluviales, ou devant des services privés et publics où elles se constituent en vendeuses ambulantes. Pour ce qui me concerne, je me suis investie dans le maraîchage. »
Mawa vend ses tomates cultivées non loin de sa concession à Missidougou, situé à 55 km de Sikasso, le dernier village du Mali à seulement 5 km du Burkina Faso. « Grâce à cette activité, j’ai su surmonter certaines contraintes relatives à la prise en charge des dépenses de la famille. Le cas des vendeuses de condiments est pire. Car, elles sont à leurs lieux de travail de 06 à 11 heures du matin pour faire des ventes et ensuite utiliser séance tenante, les sommes générées pour assurer la ration alimentaire de la famille. »
Cette activité de maraîchage est de nos jours devenue un succès pour Mawa, bien qu’elle puise de l’eau pour arroser ses milliers de pieds de tomates à l’aide d’un seau. Et c’est après avoir accompli toutes les tâches ménagères effectuées très tôt le matin, qu’elle se rend à la corvée pour ses travaux maraîchers. A dans ce village, peu d’hommes se souciaient de la prise en charge des dépenses familiales, tout est laissé aux soins des femmes.
Une réalité que témoigne Yamédougou Gonssogo, maire de la localité impressionné par la bravoure de Mawa Konaté. « J’apprécie ce que fait Mawa comme activité, car non seulement, elle gagne de l’argent, mais elle apporte sa contribution dans la famille. Lorsqu’une femme entreprend une activité génératrice de revenus, ça lui profite et la rend indépendante financièrement. En un mot, c’est toute la famille qui en profite, car l’argent généré est utilisé pour les dépenses de la famille. Ce qui soulage l’époux et la femme elle-même ».
Cependant, selon Mme Haïdara Many Sow, rizicultrice à Dioro dans la région de Ségou, 4ème région du Mali, les femmes rurales souffrent plus que celles vivant dans les grandes villes : « Non seulement, elles ont en charge la totalité des dépenses familiales, mais aussi, elles sont les bras valides puisqu’elles sont obligées d’épauler leurs maris aux travaux champêtres. Après le champ, pendant que les autres prennent la route pour la maison, les femmes se chargent encore de bois de chauffe pour la cuisine du soir. A Dioro, les petites filles ne sont pas épargnées par cette exploitation. Car, dans le secteur informel, la fille assiste sa mère avant d’aller à l’école. Le cas des marchandes en est une parfaite illustration. Ces fillettes, munies de leurs sacs, rebroussent le chemin de l’école pour veiller sur les marchandises de leurs mamans, pendant que ces dernières s’occupent de certaines tâches ménagères. Cette pratique peut favoriser l’échec des enfants à l’école et constitue une atteinte aux droits des enfants ».
Avec la cherté de la vie, les femmes ne sont-elles pas les premières victimes de cette conjoncture ? La réponse à cette question est affirmative, dira Mama Koïta de la Plateforme des Femmes Leaders du Mali. A l’en croire, cette question une préoccupation. « Car, cette cherté est surtout palpable sur les produits de première nécessité. Nul n’ignore combien le panier de la ménagère est pauvre en qualité et en quantité. Et c’est aux femmes de se décarcasser pour satisfaire les membres de leurs familles. Ce qui n’est pas du tout normal, quand on sait que les hommes sont les chefs de famille ».
Aminata Ballo, vendeuse de poissons fumés au marché de Médine en commune II du district de Bamako: « Nombreux sont les hommes qui fuient leurs responsabilités en laissant les charges de la famille aux femmes. Vous savez, les femmes souffrent beaucoup au Mali. J’ai plus de vingt ans de mariage, mais depuis à trois ans de mon mariage, mon mari s’est débarrassé de tout et les charges me reviennent. Je suis obligée de le faire pour la survie de mes enfants et leur avenir. Ce que je peux dire, c’est de remercier Dieu le tout puissant qui a su m’indiquer la voie du commerce. C’est une affaire qui marche beaucoup pour moi. Je ne me plains pas du fait que je prends en charge les dépenses, mais le fait que mon mari ne le reconnaît pas. C’est ce qui me choque alors que ce son devoir de nous prendre en charge, moi qui suis sa femme et nos enfants ».
Pour cet imam d’une mosquée du quartier Badalabougou Bouba N’Gaïdo, Il est temps que les hommes qui font cette pratique reviennent à la raison. Sinon si cette pratique continue, le mariage n’aura plus sa raison d’être. « Dieu n’a pas dit cela, d’ailleurs selon le saint coran, les femmes doivent rester à la maison et doivent être chéries par leurs maris, tel n’est pas le cas aujourd’hui. Avant, la société ignorait tant de choses et le monde a évolué, tout est clair et net, et les hommes le savent d’ailleurs ».
« Que faire par rapport à cette pratique entretenue par les hommes qui veulent sauver leur peau ? » Cette interrogation est de Fanta Sacko ménagère, une vieille de 75 ans venant de Banankabougou, en commune VI du district de Bamako. Elle conseille les victimes à supporter cette pratique afin d’en tirer les profits plus tard. Selon elle, quand une femme souffre dans son foyer, tôt ou tard, elle sera récompensée par Dieu le tout puissant. Ayant vécu des expériences de ce genre, cette vieille dame déplore cette pratique en disant que si rien n’est fait, ça sera une loi un jour.
De l’avis de Korotoumou Ballo 82 ans l’ancienne syndicaliste, l’injustice des hommes à fuir leurs responsabilités fragilise les droits des femmes. « Pourtant, les droits des femmes couvrent tous les aspects de la vie santé, éducation, participation politique, bien-être économique, absence de violence, parmi beaucoup d’autres. Les femmes et les filles doivent pouvoir bénéficier du plein exercice de tous leurs droits humains dans l’égalité et d’être à l’abri de toutes les formes de discrimination. Pour satisfaire le besoin de la famille, certaines femmes avec peu de moyens s’efforcent de joindre les deux bouts. Cela, en se mettant au service de la famille en matière de prise en charge de dépenses du foyer. Avant cette pratique était fréquente les zones rurales, mais de nos jours on contact partout au Mali. En tant qu’ancienne syndicaliste, je proteste contre cette pratique. Il est tout le temps dit que l’homme est le chef de la famille et c’est lui qui doit se charger des dépenses de la famille non pas la femme”.
Aux dires du maire de Niamana, la femme n’est pas obligée de prendre en charge des dépenses de la famille. Elle peut, selon le code du mariage et de tutelle, épauler son époux dans la mesure du possible. Pour ce qui concerne la prise totale de toutes les charges, cela est une invention de certains hommes qui veulent fuir de leurs responsabilités.
Pour Bakary Dembélé, Anthropologue, Chef de Division à la Direction Régionale de Promotion de Femme, de l’Enfant et la Famille « c’est la société qui encourage la pression sociale entraînant des préjugés sur le statut de la femme. Il a pris l’exemple sur le fait qu’il est toujours dit que la femme est faite pour le foyer et que toutes les charges reviennent à elle. Au Mali, bien que les femmes aient des rôles importants dans les foyers, elles restent faibles vis-à-vis des hommes. Malgré tous les efforts qu’elles fournissent dans la société, rares sont les hommes qui reconnaissent leur bravoure. Certains croient que cela est normal. L’homme et la femme sont complémentaires. Ainsi, la femme doit aider son mari si elle a la possibilité de le faire et la lourde de responsabilité du foyer appartient à l’homme. Car, c’est lui le chef de la famille et le fauteuil du chef coûte cher ».
Aux dires de M. Dembélé, dans la plupart des cas, les hommes ont eu des avantages sur les femmes, car la chance est donnée aux garçons d’aller à l’école. La fille reste à la maison pour assister sa maman sinon l’aider dans les tâches ménagères. Même si elle est allée à l’école au bout de quelques années, la fille est retirée de l’école pour la donner en mariage. Toute chose qui justifie le faible niveau des femmes et cela constitue un frein au niveau du marché du travail. Ce cas de figure constitue d’être une barrière sur le plan du développement de la femme et du pays. Il y a aussi le complexe d’infériorité, car le poids social fait que la femme se considère comme le sexe faible », a-t-il ajouté.
Selon l’article 1er de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, dont le Mali est signataire, « toute personne a le droit de jouir des droits et libertés reconnus et garantis par la présente Charte sans distinction d’aucune sorte, telle que la race, le groupe ethnique, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l’opinion politique ou autre, origine nationale et sociale, fortune, naissance, ou autre statut. »
Pour ce qui est la démission des chefs de famille par rapport à la prise en charge des dépenses familiales, dira M. Dembélé, c’est la pauvreté qui est à la base de la démission de certains chefs de familles. Quand, les charges sont aussi importantes, les hommes se cherchent et souvent ils démissionnent, le fait qu’il n’y a pas de ressources convenables. Pour certains hommes, les femmes sont dépensières, car elles ne manquent pas d’argument pour faire des dépenses de prestiges, lors des mariages et baptêmes. Souvent, cette pratique est source de conflit interne. Par exemple, lors des cérémonies familiales, certaines veulent toujours s’habiller en uniformes et le coût du Bazin riche est très élevé. Il a également souligné la cherté de la vie qui fait que si la femme ne contribue pas, l’homme seul ne pourra pas tenir les charges.
En guise de conclusion, dira M. Dembélé « Quand on fonde un foyer, c‘est une obligation pour les hommes de subvenir aux besoins de la famille. Il faut être en mesure, sinon c’est une fuite de responsabilité. Donc, il faut être responsable vis-à-vis du foyer, à défaut de cela, tu n’es pas respecté dans ton foyer. Et ça donne une mauvaise image aux hommes. »
Cet article est publié avec le soutien de JDH – « Journalistes pour les Droits Humains » et du Fonds des Nations pour la Démocratie (FNUD/UNDEF).
Mariétou Konaté