DÉPRAVATION DE NOS VALEURS SOCIÉTALES : À qui la faute ?


La dépravation de nos valeurs sociétales est une réalité dans notre pays et se résume en la faillite, la démission et la complicité des acteurs à tous les niveaux. Ceux qui sont censés servir de vecteurs de bonne éducation, les aînés, manquent de façon regrettable de vertus. Que faut-il donc faire pour revenir aux fondamentaux ? Le Mali est un pays de culture, de tradition et de valeurs. Les Maliens, en général et la jeunesse en particulier, étaient  jadis habitués à respecter  des valeurs sociétales, le respect des vieilles personnes, des dirigeants, l’honnêteté, le patriotisme, la bravoure, la probité, pour ne citer que celles-ci. Ces pratiques qui ont fait l’histoire de notre pays, la gloire du Mali et la fierté du peuple malien. Aujourd’hui, les aînés ont abandonné, les parents ont croisé les bras, l’État regarde et la jeunesse ignore.

 

Selon Sidiki Traoré, enseignant, le problème de la dépravation des valeurs sociétales remonte aux années de l’arrivée du missionnaire blanc. « Depuis, nous avons progressivement laissé nos valeurs au profit de celles de l’Occident ». Chose bizarre, on a perdu nos valeurs et on n’a pas pu accumuler celles venues d’ailleurs. Le mal est tellement profond qu’il est maintenant difficile de trouver une solution. « L’éducation des enfants est foulée aux pieds, les parents ont démissionné, l’État ne s’intéresse plus. Les enfants sont innocents », souligne-t-il. 

 

Pour Soungalo Diarra, enseignant à la retraite, dans les années d’avant 1991, le Malien se donnait la mort parce qu’il avait été révélé qu’il avait détourné de l’argent. Son honneur ne lui permettait pas d’entendre de telles choses, de salir sa réputation et surtout celle de sa progéniture. Pour le Malien « d’hier », la prison faisait mal à l’honneur. Mais aujourd’hui c’est le contraire. Voler, détourner, mentir sont des pratiques courantes et devenues une fierté. La prison, aujourd’hui, ne fait plus honte.

Pour Fanta Kamissoko, la grande famille a toujours joué un rôle de premier plan dans la socialisation. Cette socialisation revenait aux aînés, parallèlement aux  parents biologiques de l’enfant. Cette grande famille a tendance à disparaître au profit de la famille nucléarisée. L’enfant considérait toutes les personnes de l’âge de son père et de sa mère comme ses pères et ses mères, car il avait été éduqué dans ce sens. De nos jours, les enfants ne se reconnaissent qu’à travers leurs parents biologiques. De plus en plus, les parents ne s’intéressent qu’à la conduite de leur propre enfant et non à celle d’enfants des autres. 

 

Quant à Aboubacar Traoré, directeur d’école, il pense que toute société s’identifie par ses pratiques et que celles-ci doivent être en concordance avec les valeurs culturelles. Sans cela, on parlera  de la perte des valeurs humaines. Ces valeurs qui nous permettent de vivre dans la dignité, le respect de l’autre. Aujourd’hui, rien qu’en regardant autour de nous, il est facile de voir notre  monde s’effondre. 

 

Ces derniers temps, le Mali souffre de faits ignobles, bafouant sa dignité et blessant sa fierté. L’avenir devient inquiétant. « Que voulez-vous que le Mali devienne avec une jeunesse sans scrupule et une vieillesse irresponsable? », s’interroge-t-il, avant de dire qu’il est grand temps de  mettre la lumière sur les causes qui détériorent notre société. « Les mauvais comportements sont aujourd’hui une source d’inspiration pour la jeunesse ». 

 

Selon Madou Camara, enseignant, les cas de violences, plus particulièrement de viols, sont d’actualité. N’est-il pas un laisser-aller de l’État ? Comment comprendre que la jeunesse se livre  à la consommation de toute sorte de drogues au su et au vu de tous? Et quand elle est immunisée contre la peur, le mal devient automatique.

« Je pense aussi que, dans cette affaire de dépravation des mœurs, une chose est pour l’État de prendre des engagements pour corriger les fautifs ; une autre est l’implication des parents dans l’éducation des enfants. Il faut avoir la force et le courage de  le dire, les parents ont démissionné de leurs responsabilités vis-à-vis de leur progéniture. En clair, l’éducation doit être revue depuis le bas âge ».

 

Cependant, triste est de le dire, quelques vieilles personnes sont aussi l’une des causes du déséquilibre des valeurs sociétales. Au lieu d’être un modèle pour la jeunesse, elles se livrent plutôt aux scandales, ajoute-t-il. 

Pour Maimouna Togola, cette dépravation des valeurs est la conséquence de la dislocation de la grande famille en petite famille, due à la distribution économique des membres. Les revenus de la famille reposaient sur le gain collectif, qui est transféré aujourd’hui en gain individuel, créant la dislocation de la grande famille et la dépravation des valeurs sociétales.  

 

Selon Moussa Maiga, étudiant, les jeunes doivent savoir faire la part des choses, arrêter de copier négativement tous ceux qui viennent d’ailleurs, faire le tri dans ce qui nous vient de l’extérieur. Les parents, l’État et la jeunesse elle-même, tout le monde doit jouer sa part de responsabilité.

 

Pour certains chefs coutumiers, les religieux ont un rôle très important à jouer dans notre société dans le cadre de l’apaisement, de la bonne conduite, de la spiritualité, etc. Ils pensent que les religieux n’ont pas toujours été à la hauteur durant ces années et doivent se pencher sur ce qu’ils peuvent et doivent faire mieux.

Selon Issa Coulibaly, un religieux, le problème de la dépravation de nos valeurs sociétales, clientélisme, corruption, délinquance financière, culture de la médiocrité, manque d’honnêteté, de citoyenneté, etc… que nous traversons, est une mauvaise interprétation de la démocratie conquise le 26 mars 1991  dans un bain de sang. 

« Le peuple malien dans sa globalité confond la démocratie et le laisser-aller. La dépravation des valeurs sociétales, c’est la faillite nationale, de laquelle tous les Maliens sont comptables ».

 

Le ministre de la Jeunesse et de la construction citoyenne, au vu de l’article 34 du texte ou document de politique nationale du 25 nov. 2016 relatif à l’exercice de la liberté religieuse et de culte, à la jeunesse, la promotion de la citoyenneté, des valeurs et principes, « prépare et met en œuvre la politique nationale dans les domaines de la promotion de la jeunesse et de la construction citoyenne. À ce titre, il est compétent pour  la promotion, l’organisation, l’orientation et la coordination des actions visant à assurer le plein épanouissement des jeunes et leur insertion dans le processus de développement économique, social et culturel et pour l’élaboration et la mise en œuvre de la promotion de la citoyenneté, des valeurs et principes de la République et de la démocratie.

 

Dans l’article 31 du même document, le ministre de la Promotion de la femme, de l’enfant et de la famille prépare et met en œuvre la politique nationale du genre, de la famille, de promotion et de protection de la femme et de l’enfant. À ce titre, il est compétent pour l’élaboration et la mise en œuvre des mesures devant assurer le bien-être de la femme, de la famille et de l’enfant.

 

« Cet article est publié avec le soutien de JDH – Journalistes pour les Droits Humains et le Fonds des Nations pour la Démocratie (FNUD/UNDEF) ».

 

Négus Traoré